U.T. c. Centre intégré de santé et de services sociaux de Lanaudière
Appels d’un jugement de la Cour supérieure ayant rejeté en partie une demande d’autorisation d’exercer une action collective. L'appel des représentantes est accueilli et celui des médecins est rejeté.
Les membres du groupe sont des patientes issues de la communauté atikamekw de Manawan qui, en raison de leur origine ethnique et sans avoir donné de consentement libre et éclairé, auraient été stérilisées à leur insu ou de manière contrainte, en raison d’une culture institutionnelle et d’un environnement empreint de préjugés ainsi que de racisme systémique. Le juge autorisateur a estimé que les représentantes du groupe avaient réussi à démontrer l’existence d’une cause défendable pour les fautes commises par 3 médecins ayant exercé la gynécologie obstétrique au Centre intégré de santé et de services sociaux de Lanaudière (CISSS). Il a toutefois rejeté la demande d'autorisation contre ce dernier.
Les représentantes du groupe cherchent à infirmer le refus du juge d'autoriser le recours à l'égard du CISSS. Pour leur part, 3 médecins invoquent l’absence de pratique commune entre eux et le fait que l’obtention d’un consentement libre et éclairé s’inscrit à l’intérieur de paramètres établis et de communications échangées avec chaque patiente dans le cadre d’une relation thérapeutique unique. Ils réfutent ainsi l’idée que l’absence de consentement alléguée puisse faire l’objet d’un examen collectif.
Le juge n'a pas commis une erreur manifeste ou déterminante dans son évaluation du critère d'autorisation énoncé à l’article 575 paragraphe 1 du Code de procédure civile (RLRQ, c. C-25.01) (C.P.C.). L’existence d’une pratique institutionnalisée et systémique de stérilisation imposée aux femmes autochtones et d’un certain modus operandi des médecins à cet égard de même que le caractère discriminatoire de leur conduite au sens de la Charte des droits et libertés de la personne (RLRQ, c. C-12) peuvent certes à ce stade être qualifiées de questions communes à tous les membres du groupe.
D'autre part, tout comme pour les médecins, la nature systémique des actes et des omissions qui sont reprochées au CISSS se prête à une analyse commune, tout en gardant à l’esprit qu’il n’est pas nécessaire que les demandes individuelles des membres du groupe soient fondamentalement identiques les unes aux autres.
En ce qui concerne le critère énoncé à l'article 575 paragraphe 2 C.P.C., le juge a outrepassé son rôle de filtrage en imposant aux représentantes un seuil de démonstration trop élevé, alors que le dossier suffisait amplement à établir une cause défendable.
En l'espèce, la responsabilité du CISSS n'est pas recherchée dans le cadre d’un lien de préposition pour la faute commise par les médecins, mais pour sa faute directe ou celle commise par ses préposés dans la prestation des soins et services offerts aux membres du groupe. Le juge a restreint indûment la cause d’action à l’existence et à la qualité du consentement aux soins qu’il associe et attribue uniquement aux médecins et a réfuté l’idée qu’un autre membre du personnel soignant puisse s’immiscer dans la relation du médecin avec son patient.
Le juge a aussi commis une erreur en concluant qu'aucun lien ne pouvait être établi entre le racisme systémique et les stérilisations imposées. Même en présumant qu’il n’existe aucun protocole ni aucune politique visant la stérilisation systématique des femmes autochtones au CISSS, cela ne signifie pas pour autant que la pratique ne s’est pas produite et qu’aucune autre faute directe ne peut lui être reprochée.
En ce qui concerne les manquements aux devoirs et obligations qui incombent au CISSS en vertu de la Loi sur les services de santé et les services sociaux (RLRQ, c. S-4.2), le juge a circonscrit de manière erronée et prématurée la portée de l'obligation de fournir des soins de santé adéquats et sécuritaires et de s’assurer que les patientes autochtones soient bien informées de leurs options et des conséquences d’une telle intervention avant de consentir aux soins proposés.
Enfin, il est possible que la responsabilité du CISSS soit engagée pour les fautes qui auraient été commises par les membres de son personnel soignant. L'action collective est donc autorisée contre ce dernier.
Texte intégral de la décision : http://citoyens.soquij.qc.ca