R. c. St-Jean
Appel de verdicts d’acquittement. Accueilli; la tenue d’un nouveau procès est ordonnée. Appel d'un verdict de culpabilité. Rejeté.
La victime a trouvé la mort après avoir reçu un projectile d’arme à feu lors d’une dispute avec les 2 coaccusés dans la cage d’escalier de l’immeuble où elle résidait. Ceux-ci avaient soigneusement planifié l’embuscade tendue à la victime. Étant d’avis que la preuve était insuffisante pour soutenir un verdict de culpabilité de meurtre au premier degré, le juge de première instance a accueilli une requête pour verdict imposé d’acquittement à l’égard de cette accusation. Il a également conclu qu’il y avait absence de preuve permettant au jury d’inférer raisonnablement que le complice savait que le tireur avait l’intention de commettre un meurtre, la preuve étant contradictoire quant à l’identité de ce dernier. Les coaccusés ont été déclarés coupables d’homicide involontaire coupable.
La poursuite conteste les verdicts imposés d’acquittement ainsi que la décision du juge d’exclure la possibilité de prononcer un verdict de culpabilité pour meurtre au deuxième degré à l’égard du complice. Elle se pourvoit aussi à l'encontre des verdicts d’acquittement prononcés par le jury à l’égard de l’infraction incluse de meurtre au deuxième degré. L'accusé St-Jean, quant à lui, recherche un acquittement complet.
Le juge a commis 2 erreurs.
Premièrement, il s’est livré à une évaluation trop poussée de la preuve et, ce faisant, a usurpé la fonction du jury dans l’évaluation des inférences qui pouvaient être tirées selon l’expérience humaine et le bon sens. Même s'il a affirmé que les éléments de preuve étaient «autant compatibles avec la préméditation et le propos délibéré d’un meurtre que de n’importe quel autre crime» et qu’il ne devait retenir que les inférences favorables à la poursuite, il a expliqué qu’il devait tenir compte de l’ensemble de la preuve. Cela l’a amené à conclure que, en l’absence d'un mobile, l’inférence que le meurtre avait été prémédité et commis de propos délibéré relèverait de la conjecture. Or, l’absence de preuve d’un mobile n’équivaut pas à la preuve de l’absence d’un mobile.
Le juge a ajouté que le tireur n’avait pas tiré immédiatement sur la victime, qu'il n’avait pas déchargé entièrement l’arme et qu'il n’avait pas vérifié si la victime était morte. Quant à la notion d’«immédiateté» examinée dans l’arrêt R. v. Mendez, (C.A. (Ont.), 2018-04-11), 2018 ONCA 354, SOQUIJ AZ-51483871, le juge l'a considérée d’une manière rigide et inflexible. Ce facteur était important dans les faits de cette affaire, car l’accomplissement du meurtre avait été immédiat. Cela dit, il n’en découle pas qu’un délai plus long, en l’occurrence 2 minutes, anéantissait les inférences qui pouvaient en être tirées.
Le juge s'est écarté de son rôle consistant à procéder à une évaluation limitée de la question de savoir si la preuve s’avérait raisonnablement susceptible d’étayer les inférences proposées par la poursuite. Or, à cette étape, lorsque plusieurs inférences peuvent résulter de la preuve, il ne faut considérer que celles favorables à la poursuite.
Deuxièmement, le juge a mal évalué les inférences qui pouvaient découler du comportement des coaccusés après le fait (dont la publication de St-Jean sur Facebook quelques mois après le crime). Plusieurs arrêts de la Cour d’appel de l’Ontario soutiennent le raisonnement selon lequel la fuite immédiate de 2 accusés qui quittent ensemble la scène d’un crime et leur association continue en bons termes après l’infraction peuvent être des indices d'une planification du crime et de sa commission de propos délibéré. En l'espèce, la multitude d’indices de planification et la continuité de l’amitié en bons termes entre les coaccusés après le meurtre ajoutent un élément important pour conclure que la décision du juge d’accueillir la requête pour verdict imposé d’acquittement était erronée.
La poursuite convainc la Cour qu'il y a lieu d’ordonner la tenue d’un nouveau procès.
Texte intégral de la décision : http://citoyens.soquij.qc.ca